À l’occasion de la réalisation de son premier CD dans le cadre de Piano Talents Series, le pianiste Samuel Aznar nous présente son approche élégante et poétique de la musique de Debussy.
Pourrais-tu nous présenter les grandes lignes de ton parcours musical ?
J’ai commencé le piano vers l’âge de cinq ans et suis entré au Conservatoire de Strasbourg à huit ans. Hubert Hanrot était mon professeur de l’époque et je me souviens des œuvres travaillées avec lui : des Inventions à deux voix de Bach, des mouvements de Sonates de Mozart, des Valses de Chopin… des œuvres que j’ai toujours plaisir à rejouer aujourd’hui. Au seuil de l’adolescence je devais pourtant quitter le Conservatoire, notamment à cause, il faut bien le reconnaître, de l’ennui suscité par les cours de solfège… C’est donc en autodidacte que j’ai continué ma formation pendant quelques années avant de réintégrer le Conservatoire vers vingt ans. J’avais acquis entretemps une technique pianistique solide mais pas très académique. Selon l’expression de mes professeurs, il me fallait maintenant « corriger le tir ».
Quels sont les professeurs qui t’ont le plus influencé ?
Le premier d’entre eux est Vincent de Murcia, à qui je dois beaucoup, toujours aujourd’hui, et qui m’a accompagné jusqu’au DEM (Diplôme d’Études Musicales) en me donnant confiance en mes moyens. Après avoir intégré la Haute école des arts du Rhin (HEAR) en 2013, il y eut Michèle Renoul et Laurent Cabasso, deux formidables professeurs tout aussi passionnés l’un que l’autre ; et enfin Amy Lin, grâce à qui j’ai pu obtenir mon Master CIM (Composition et Interprétation Musicale) l’année dernière (en juin 2018).
Comment as-tu découvert la musique de Debussy, et pourquoi avoir choisi d’interpréter ces œuvres pour ton premier enregistrement ?
J’ai découvert sa musique précisément pendant mes années d’adolescence, alors que j’avais quitté le conservatoire. Il y a chez Debussy une beauté poétique et suggestive qui me touchait alors plus que chez n’importe quel autre compositeur. J’ai donc déchiffré beaucoup de ses œuvres, dont le célèbre Clair de Lune, que je me souviens avoir joué à la fête de Noël du Lycée. Comme il se trouve que j’avais programmé les Children’s Corner pour mon récital de fin de Master l’année dernière, un récital qui coïncidait avec les célébrations du centenaire de sa mort, il m’a paru tout naturel d’intégrer Debussy à ce premier enregistrement.
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L’écriture pianistique de Debussy impose-t-elle pour toi un travail particulier ?
Pas particulièrement. Que ce soit chez Debussy ou n’importe quel autre compositeur, l’idée est de donner à chaque note de la partition un sens musical qui soit cohérent avec ma compréhension de l’œuvre dans son ensemble. Ce qui rend la chose spécifique à Debussy est que la forme générale de ses pièces est parfois plus difficile à appréhender que chez d’autres, étant donné qu’elles s’apparentent souvent à des improvisations notées. C’est en même temps un aspect qui donne à l’interprète la possibilité d’une plus grande marge de liberté.
Clair de lune de Debussy est l’une des oeuvres les plus célèbres du répertoire pour piano, et beaucoup de grands interprètes l’ont enregistrée. Comment as-tu abordé la partition pour la réalisation de ce CD, et comment t’es-tu approprié cette œuvre ?
Je dirais que comme pour tout chef-d’œuvre du répertoire, abondamment joué et rejoué par des générations de pianistes, il faut tenter de retrouver une forme de spontanéité originelle et s’attarder dans son interprétation sur les éléments qui nous paraissent constituer l’essence de l’œuvre en question.
Pour moi cette pièce exhale une beauté contemplative qui tient à la longueur de ses phrases et la richesse de ses harmonies : mon objectif est donc de ne rien presser et de bien profiter de chaque résonance jusqu’à son terme. Il faut réussir encore à s’émerveiller, même pendant le jeu, de cette beauté inaltérable.
À propos des pièces extraites de l’album Children’s Corner figurant également sur ton disque, comment ton approche s’est-elle construite ?
Je voulais proposer des pièces courtes qui allaient me permettre d’explorer plusieurs facettes du style de Debussy sur un même album. Les pièces extraites de Children’s Corner sont parfaites pour cela car elles me paraissent chacune à leur manière être un concentré de subtilité, de tendresse, et d’humilité. Il n’y a pas dans ces pièces d’effets de composition trop marqués, ou quand il y en a, comme dans la partie centrale de Golliwogg’s Cakewalk, ce sont des effets humoristiques pleins d’auto-dérision.
Avais-tu déjà travaillé ces pièces durant tes années au conservatoire ?
Oui, justement pour l’obtention de mon Master à la HEAR l’année dernière. Chaque étudiant en Master doit en effet proposer un récital final qui reprenne certaines œuvres analysées dans son mémoire en musicologie. Comme mon travail de recherche universitaire portait sur la présence du jazz dans la musique pour piano du début du XXème siècle, et que Golliwogg’s Cakewalk est l’une des premières apparitions européennes du style « ragtime », je me suis dit que reprendre tout le cycle des Children’s Corner pour mon examen final était une bonne clé d’entrée dans la musique de cette époque. Avec ma professeure Amy Lin, nous avons alors travaillé chaque détail de la partition pour arriver à ce résultat, dont je suis assez fier.
Y a-t-il un compositeur dont tu aimerais particulièrement enregistrer les oeuvres pour un prochain disque ?
Comme l’année prochaine nous fêterons le 210ème anniversaire de la naissance de Chopin, et que j’ai toujours rêvé d’enregistrer certaines de ses œuvres (les valses, la 1ère Ballade…), je pense que je consacrerais mon prochain disque à cet autre génie du piano.
Quels aspects t’ont convaincu d’enregistrer avec un piano modélisé, et avais-tu des appréhensions à ce sujet ?
Lorsque l’on m’a dit que j’allais enregistrer un album sur un clavier numérique d’apparence quelconque, modélisant et reproduisant en direct le son des plus grandes marques de pianos, j’ai d’abord été dubitatif. Qui ne l’aurait pas été ? Mais dès le début du projet Piano Talents Series, j’ai été frappé par le réalisme sonore de cette technologie innovante. Grâce à l’expertise et au soutien de Michael Coco, l’ingénieur du son à l’origine de ce projet regroupant plusieurs pianistes de la HEAR, j’ai en effet pu avoir accès au son des plus beaux pianos du monde, et ce dans les plus belles acoustiques. Pour ce premier album nous avons choisi le son d’un Steinway B, mais l’on pourrait très bien imaginer par la suite enregistrer sur des pianos historiques (Pleyel, Blüthner Aliquot…) afin de retrouver le son que mes compositeurs favoris devaient avoir en tête. Je ne vois en fait que des avantages à l’utilisation de cette technologie de modélisation de pianos et je suis prêt à parier sur son succès dans les années qui viennent.
À PROPOS DE SAMUEL AZNAR
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CD complet : https://www.youtube.com/watch?v=9sR6dlN2fXU
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