Pour la sortie de son premier CD, le pianiste Olivier Claude nous présente son approche singulière de la musique de Brahms et de Chopin à travers deux oeuvres majeures du répertoire pour piano. La Polonaise-Fantaisie Op. 61 et les Klavierstücke Op. 118.
À quel âge as-tu commencé le piano, et quels ont été les moments décisifs lors de tes études ?
J’ai commencé à prendre des cours de piano à l’âge de 9 ans, mais j’ai ensuite eu un parcours assez atypique. J’ai failli arrêter au bout de cinq ans de cours en école de musique, pour finalement suivre des cours de jazz et d’improvisation. J’ai repris les cours de piano classique à 17 ans et j’ai continué dans l’optique d’une pratique amateure en parallèle de mes études en sciences politiques, puis de mon travail dans l’administration de la culture. C’est seulement à l’âge de 27 ans que j’ai décidé d’en faire mon métier et que je suis entré à l’Académie Supérieure de musique de Strasbourg.
J’ai eu la chance de travailler avec plusieurs professeurs (Laurent Cabasso, Amy Lin et Dany Rouet) qui ont chacun une approche différente et finalement complémentaire. J’ai ainsi compris qu’il n’y a pas une seule façon d’aborder le piano, et la musique en général, mais qu’il s’agit de trouver celle qui me correspond.
Comment as-tu découvert la musique de Brahms ?
Lorsque j’ai repris les cours de piano classique à l’âge de 17 ans, je ne connaissais pratiquement rien du répertoire. C’est ma professeure de l’époque, Isabelle Reuzé, qui m’a fait découvrir les œuvres de Chopin, Schubert, Debussy, Brahms, etc. Elle me prêtait des disques et m’a fait travailler la 2ème Rhapsodie de Brahms op. 79. La pièce était trop difficile pour le niveau que j’avais à l’époque, mais j’ai senti que quelque chose dans cette musique s’adressait à moi, comme s’il s’agissait d’une forme sonore d’états intérieurs inexprimables par d’autres moyens.
Pourquoi avoir choisi les Klavierstücke Op. 118 pour ton premier CD ?
J’ai travaillé ces pièces une première fois quand j’avais vingt ans environ, et elles figurent parmi les œuvres que je préfère de tout le répertoire. Il réside dans les derniers opus de Brahms une atmosphère très singulière, comme si à l’approche de la mort, il allait directement à l’essentiel, sans aucun artifice. Il n’avait plus rien à prouver, et cherchait seulement, comme il le dit lui-même, à « bercer ses douleurs ».
As-tu un interprète de référence pour les pièces de cet opus, et pour les oeuvres de Brahms en général ?
Je reste très attaché à l’interprétation de Radu Lupu, avec lequel j’ai découvert Brahms. J’ai beaucoup écouté à une époque son disque regroupant les 2 Rhaspodies op. 79 et les derniers cycles opus 117, 118 et 119. Plus récemment, Philippe Cassard a enregistré tous les derniers opus de Brahms dans un disque tout à fait remarquable.
Penses-tu enregistrer bientôt l’intégralité des pièces de l’opus 118 ?
Oui, tout à fait. C’est un cycle qui contient une réelle cohérence dans son ensemble, même si on peut jouer les pièces séparément comme il m’arrive parfois de le faire en concert.
Le présent disque inclut notamment la fameuse Polonaise-Fantaisie Op. 61. Sur quels critères as-tu choisi cette oeuvre, et que représente pour toi la musique de Chopin ?
C’est une pièce que j’ai travaillé une première fois il y a cinq ou six ans et qui me fascine toujours autant. C’est sans doute l’œuvre de Chopin que je préfère. Comme l’opus 118 de Brahms, il s’agit d’une pièce de la maturité. Chopin y déploie, comme dans ses autres pièces tardives, des trésors harmoniques et contrapuntiques qui viennent s’ajouter à son sens mélodique naturel. Il fait tenir ensemble des éléments disparates dans une grande liberté de forme qui conserve malgré tout une unité supérieure.
Chopin est un compositeur qui occupe une place particulière pour tout pianiste je pense. Il est probablement celui qui a su le mieux faire sonner l’instrument. Il y a une sorte de symbiose qui s’opère entre ses œuvres, le piano et le pianiste, quelque chose qui relève d’une évidence.
Quel passage de la polonaise représente le plus de difficultés à tes yeux ?
Sur le plan technique, la coda est assez redoutable. Il s’agit de faire ressortir le thème initial qui réapparaît comme transfiguré au sein d’une écriture foisonnante et constitue le climax de toute l’oeuvre.
Mais l’introduction est très délicate sur le plan musical. Avec simplement quelques accords et arpèges, il s’agit de donner l’impression qu’on entre dans un monde à part, mais à tâtons, sans savoir où l’on va.
Comment as-tu abordé la partition ?
La difficulté de l’œuvre réside dans la conjonction de l’élément rythmique de la polonaise (qui est une danse à l’origine), et du caractère improvisé, très libre de la forme. On retrouve d’ailleurs cette ambivalence dans le titre même du morceau : c’est à la fois une polonaise et une fantaisie. Peut-être que mon interprétation penche plus du côté improvisation que de celui de la droiture de la polonaise. Pratiquant moi-même l’improvisation par ailleurs, c’est un élément que j’essaie de retrouver dans les pièces que j’interprète.
As-tu fait plusieurs prises pour son enregistrement ?
Non, une seule. Il y a nécessairement des imperfections, mais cela permet de conserver une forme de spontanéité. De toute façon, je ne conçois pas un enregistrement comme un produit fini, mais comme un instantané. Si je devais l’enregistrer de nouveau dans un an, ou même dans une semaine, le résultat serait à chaque fois différent.
Enregistrer avec un instrument modélisé a-t-il été quelque chose de difficile pour toi ?
C’est clairement un peu perturbant au départ. Moins au niveau du toucher que du son que l’on entend au moment de l’enregistrement. Cela demande un effort pour s’imaginer le son réel que cela donnera au final. Mais après quelques essais, on s’habitue et on retrouve ses repères et ses sensations.
Quel regard portes-tu sur les nouvelles technologies appliquées à la musique classique ?
Je reconnais que j’étais un peu sceptique au premier abord. Mais comme n’importe quelle technologie, elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi ; cela dépend de l’usage que l’on en fait. En l’occurrence, cela permet à des pianistes de connaître une expérience d’enregistrement et d’obtenir un résultat dont le rapport qualité/prix est remarquable. Cela n’a pas vocation à remplacer les enregistrements sur instruments acoustiques. Pour moi, c’est un outil, pas une fin en soi. Ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est de jouer en concert. En tant que spectacle vivant, c’est dans ce cadre que la musique prend réellement tout son sens.
À PROPOS DE OLIVIER CLAUDE
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